L'entrevue a été réalisée devant public le 24 octobre 2018 à l'agora du Collège, dans le cadre de la Semaine québécoise de réduction des déchets. Elle servira de point de départ à des discussions dans le cours de biologie Évolution et diversité du vivant.
Ville en Vert a pour mission de sensibiliser, d’éduquer et de soutenir tant les citoyens que les organisations en matière de développement durable, principalement dans l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville. Francis Girard-Brisson est en charge du volet Gestion des matières résiduelles, c'est à dire tout ce qui touche au recyclage, au compostage, à la réduction des déchets en général.
La version audio de l'entrevue est disponible ici:
Captation vidéo de l'entrevue
Catherine: Est-ce que ce que l’on met dans notre bac de recyclage est réellement recyclé?
Francis: L’efficacité du recyclage, c’est une question extrêmement complexe. Pour donner une réponse courte : non, ce n’est pas tout ce qu’on met dans le bac qui va être recyclé pour en faire de nouveaux matériaux. Quand on regarde les données du dernier bilan annuel de Recyc-Québec, ce serait 54% des matières récupérées qui serait recyclées au Québec. Mais ça varie beaucoup d’une matière à l’autre. On parle de 80% pour le papier/carton, 50% pour le métal, tandis que ce serait en bas de 20% pour le plastique et le verre. Le reste est souvent vendu à des courtiers, des entreprises qui s’occupent de revendre les matières à des acheteurs, souvent à l’étranger. La plupart des centres de tri sont des entreprises privées qui ne dévoilent pas leurs clients. On ne sait pas exactement où s’en vont nos matières, ni si c’est complètement recyclé.
Il y a plusieurs raisons pour expliquer les faibles taux de recyclage au Québec. Ici, on a décidé d’adopter la collecte du recyclage pêle-mêle ; papier, plastique, verre, métal, tous ensemble. C’est plus facile pour tout le monde. Pas nécessaire de trier à la maison. Mais ailleurs dans le monde, surtout en Europe, les municipalités ont souvent plusieurs bacs de recyclage; un pour le papier/carton, un pour le métal, un pour le verre. Ça permet d’obtenir des matières de meilleurs qualité. Au Québec, quand notre bac arrive au centre de tri, tout est mélangé, et c’est extrêmement complexe de séparer le tout. On a adopté la collecte pêle-mêle pour augmenter le taux de participation. Ce qui a fonctionné. Mais au final, on se retrouve avec du recyclage de qualité moins intéressante, et on de la difficulté à le revendre.
Malgré ça, le recyclage demeure extrêmement important, même si au final, 10-20-30% du bacs n’est pas vraiment recyclé. Il faut seulement comprendre que le recyclage, ce n’est pas une solution magique. Ce n’est pas parce qu’un produit est complètement recyclable que ça veut dire qu’il n’a pas d’impact sur l’environnement. Idéalement, le recyclage, on devrait l’utiliser quand on a épuisé toutes les autres options. Avant de recycler un objet, on devrait se demander si c’était possible de s’en passer ou de le réutiliser.
Francis Girard-Brisson, de l'organisme Ville En Vert et Catherine Pilon, étudiante en Sciences de la nature au Collège Ahuntsic
Qu’est-ce qui se fait actuellement en recherche, pour réduire ou mieux gérer nos déchets? Quelles sont les pistes de solutions au problème environnemental?
On parle beaucoup d’écoconception depuis quelques années. L’écoconception, en gros, c’est lorsqu’on évalue toutes les étapes du cycle de vie d’un produit pour réduire son impact environnemental. Quand je parle de cycle de vie, ça veut dire qu’on doit répondre à plusieurs questions pendant la conception : qu’est-ce qu’on utilise comme matériau, est-ce que le processus de fabrication est polluant, comment peut-on réduire au maximum l’emballage, comment gère-t-on le transport, combien de temps le produit peut-il être utilisé, qu’est-ce qu’on peut faire avec le produit après utilisation? Est-ce qu’il est réparable, recyclable, compostable?
Un bon exemple d’écoconception, ça peut être aussi simple qu’une entreprise qui refait le modèle de ses boîtes pour utiliser 5 ou 10% moins de carton. Ça se fait aussi avec des objets moulés en plastiques comme des meubles ou des jouets. On va faire des modélisations à l’ordinateur pour créer un modèle qui utilise le moins de matière première possible tout en gardant sa solidité.
Ou par exemple, ce serait de construire des téléphones avec des batteries remplaçables. Quand la batterie commence à être moins efficace, on change la batterie, mais on garde le téléphone. On ne s’en va pas nécessairement dans la bonne direction en ce moment. Quand notre téléphone vieillit, on se retrouve souvent obligé de le remplacer au complet, au lieu de seulement remplacer les morceaux qui causent le problème.
Parce qu’au final, les entreprises n’ont pas toujours avantage à vendre des produits écologiques qui durent des années. Si on garde le même téléphone pendant 10 ans, les entreprises ne font pas d’argent. C’est à nous de faire un effort pour acheter des produits durables. Si les entreprises changent leur façon de fonctionner, ce sera parce que les consommateurs font des pressions. Mieux gérer nos déchets, ça passe par des biens de consommation qui durent plus longtemps.
Du côté du recyclage, on fait beaucoup de recherche sur la façon d’utiliser les matériaux que les gens mettent au bac de recyclage. Par exemple, des entreprises ont créé des technologies pour pulvériser les verres de façon à pouvoir l’utiliser dans la fabrication du béton. On développe même des techniques pour utiliser la poudre de verre recyclé dans les filtres de piscines. Je pense que ces projets sont intéressants, mais on doit toujours se poser la question de l’impact environnemental. Est-ce qu’on est vraiment moins polluant quand on utilise du verre recyclé pour faire du béton ou si ce serait préférable de refaire des bouteilles.
Qu’est-ce que nous devrions prioriser, dans nos gestes quotidiens? A-t-on encore une chance de sauver la planète, ou bien est-il trop tard?
Ça dépend de ce qu’on veut dire par « sauver la planète ». Il n’y a aucun doute que la vie sur terre va survivre longtemps après la disparition de l’homme. Nous ne sommes pas le centre de l’univers. Si on disparaissait tous demain matin, la nature finirait par retrouver son équilibre assez rapidement.
En fait, il faut éviter de voir les changements climatiques comme une sorte d’apocalypse qui va faire disparaître toute la race humaine. L’enjeu des changements climatiques, c’est beaucoup plus subtil que ça. Les changements climatiques, de façon générale, ça veut dire qu’on va observer de plus en plus d’évènements climatiques imprévisibles. Ça veut dire davantage de canicules, de sécheresses, d’inondations, des vents violents, des périodes de gel plus intenses l’hiver. Pour le Québec, ça veut aussi dire l’apparition de maladie et d’espèces envahissantes qui jusqu’à maintenant ne survivaient pas à notre climat.
Et là, on ne parle pas du futur. On voit déjà des indices que le climat est en train de changer. Au printemps 2017, on a eu des inondations monstres un peu partout au Québec. Cet été, on a eu des canicules épouvantables. On a battu des records de chaleur. Dans l’Ouest canadien, la Colombie-Britannique a vécu un nombre record de feux de forêt pour une deuxième année de suite; 600 incendies, 21 000 km2 de forêts qui partent en fumée. Dans la région de Gatineau/Ottawa, il y a eu une tornade il y a quelques semaines à peine. En tant que scientifique, c’est très difficile de prouver que chacun de ces évènements pris séparément est causé par les changements climatiques. Mais quand on observe la situation dans son ensemble, c’est extrêmement inquiétant.
Le problème des changements climatiques, c’est que ça risque de devenir de plus en plus difficile de cultiver nos terres, d’entretenir nos infrastructures. On va devoir investir plus d‘argent pour produire des biens et des services. C’est sûr que si les changements climatiques diminuent les récoltes, on va se retrouver avec une hausse des prix. C’est possible que dans une dizaine d’années, des produits qu’on tient pour acquis deviennent des produits de luxe. Les personnes qui vont subir de plein fouet les changements climatiques, ce sont les plus pauvres. Ceux qui n’ont pas les moyens de payer davantage.
C’est difficile de dire exactement comment ça va se passer. Qu’est-ce qui va se passer si certaines régions du monde sont incapables de nourrir leurs citoyens ? On voit déjà que l’immigration crée des tensions à travers le monde. Imaginez si on multiplie par 10 le nombre de personnes qui cherchent à immigrer pour assurer leur survie. Les changements climatiques risquent de causer des gros problèmes internationaux au niveau politique.
En résumé, on sait déjà qu’on doit se préparer à vivre des années difficiles. Je pense que le mal est fait. Mais si on est capable de réduire juste un peu l’impact des changements climatiques, ça pourrait faire une différence énorme sur notre qualité de vie. Les décisions qu’on va prendre ensemble comme société, ça va faire la différence entre être forcé à vivre de façon un peu plus modeste ou être forcé à abandonner complètement notre mode vie.
On n’a pas mille solutions. La seule chose à faire, la priorité numéro un, c’est de consommer moins. On doit acheter moins. On doit se concentrer sur l’essentiel. On doit apprendre à refuser les produits à usages uniques et les emballages inutiles. On doit apprendre à acheter local, à partager avec nos voisins, à réparer ce qu’on possède déjà. Parce que tout ce qu’on achète a un impact environnemental. Je pense que les agences de publicité sont vraiment efficaces pour nous faire croire qu’on a besoin de plus de choses. Pour nous faire croire qu’on va être plus heureux avec de nouveaux vêtements, une nouvelle voiture, un nouveau téléphone. Je pense que si on arrêtait de s’encombrer avec autant de choses inutiles, on aurait plus de temps pour profiter de la vie.