Dans vos cours de philosophie, comme dans tout autre cours, vous serez bien sûr placé devant une «matière à apprendre», «de la théorie» comme vous dites souvent. Vous prendrez connaissance de la pensée de tel ou tel philosophe, ou encore vos profs vous expliqueront comment une idée s'est développée au cours de l'histoire. Comme tous les enseignants, ils s'attendront alors à ce que vous ayez compris les explications données, les textes lus, les auteurs présentés, etc. Vous ferez aussi des travaux auxquels ils attribueront une note. Jusqu'à présent, rien de bien surprenant ; on vous apprend «des choses» et vous devez montrer que vous les avez en effet apprises : c'est l'école quoi !
Cependant, vous vous rendrez compte assez vite que vos cours de philosophie ne sont pas tout à fait comme les autres cours que vous avez eus avant d'arriver au cegep. En philosophie, ce n'est pas d'abord «la matière» ou «la bonne réponse» qui compte, ce sont plutôt les bonnes questions et votre propre réflexion sur les diverses réponses qu'on peut leur donner. La philosophie, c'est en quelque sorte la discipline spécialisée dans les grandes questions ayant non pas une, mais plusieurs réponses possibles, parce qu'on ne sait pas trancher définitivement ou unanimement en faveur de l'une ou de l'autre.
Il est normal que cela déroute quelques élèves : si plusieurs réponses sont possibles, pourquoi un cours là-dessus et surtout pourquoi mettre des notes, puisqu'on ignore la bonne réponse? Les philosophes vous répondront que, même s'il y a diverses réponses possibles, elles ne sont pas nécessairement toutes aussi valables et qu'il importe pour chacun de nous de chercher à y voir le plus clair possible. Le projet de la réflexion philosophique est justement d'examiner ce que valent ces hypothèses de réponse, car même si plusieurs se présentent, on ne peut pas dire n'importe quoi sur des problèmes aussi graves ou vitaux que le sens de la vie, la liberté humaine ou les vraies valeurs. Pas de réponses, ou trop de réponses, ça excite la curiosité et le désir de comprendre. Ça justifie un effort intellectuel réel.
Donc, en abordant la philo, attendez-vous à ce que vos professeurs vous incitent à vous poser des questions, et à vous faire demander pourquoi vous trouvez telles réponses plus valables que telles autres. Si, au début, cela vous paraît embêtant, avec le temps vous en prendrez l'habitude et gagnerez au change : non seulement vous connaîtrez mieux plusieurs des réponses possibles à certaines grandes questions, mais vous maîtriserez davantage votre propre pensée. Vous verrez si vous êtes d'un tempérament intellectuel méditatif, qui s'allume à imaginer des possibles, ou si vous préférez les débats où des arguments serrés croisent le fer. Vous vous découvrirez comme penseur. Bref, vous vous connaîtrez mieux vous-même, évaluerez mieux les possibilités ouvertes par les réponses que vous choisirez et comprendrez un peu plus le monde dans lequel vous vivez.
Pour vous, il s'agit donc moins d'apprendre un savoir établi que de réfléchir en toute connaissance de cause à des questions difficiles et aux réponses qu'on peut leur donner. La philosophie, c'est d'abord le doute : ça s'attrape quand on découvre que ce qu'on croyait savoir de plus fondamental n'est pas si sûr qu'on le pensait. Souvenez-vous donc toujours qu'en philo, «la théorie» n'est que la série des réponses possibles aux fameuses questions et que notre but, c'est que vous jugiez par vous-même de la valeur de ces réponses, et non que vous les répétiez comme un perroquet ne comprenant rien à ce qu'il dit.